Essaie encore Selon la tradition talmudique, le bébé passe les neuf mois dans le ventre de sa mère à apprendre les secrets de la création du monde. Il détient encore le savoir de ses vies antérieures et connait d’avance celle qui l’attend, les choix qu’il devra faire et leurs conséquences. Juste avant sa naissance, un ange vient et lui enjoint de garder le secret. Il pose alors son doigt sur les petites lèvres de l’enfant, « chut », qui oublie tout ce qu’il a appris et redevient libre de faire ses propres choix. De ce geste, il reste ce creux qui se trouve juste au-dessus de nos lèvres. L’Homme, fort de son libre arbitre, connait alors la contrepartie de se tromper. De faire des erreurs. De goûter à l’échec. Ce mot tabou en France revêt pourtant dans d’autres cultures une signification positive. Parce qu’après tout, se tromper c’est apprendre. Et que seul le sentiment d’échec fait d’un échec une erreur. Alors, est-ce que l’échec peut être bénéfique ? On nait avec le ratage. À la différence de l’animal qui, porté par son instinct, ne peut pas se tromper. Il n’a qu’à obéir aux lois de la nature pour réussir. L’antilope sait qu’il n’a que quelques minutes pour apprendre à marcher sous peine de devenir une proie facile. Notre apprentissage en revanche est long et fastidieux. On commence par s’assoir, par ramper, par se tenir péniblement debout pour enfin oser faire quelques pas. Ce schéma de tentative et d’incertitude mêlées se répète tout au long de notre vie. Pourtant, plus on avance dans l’âge, moins notre société a tendance à pardonner. Charles Pépin, dans son livre Les Vertus de l’Échec, va à contre-courant de la pensée trop répandue que l’échec c’est maaaal. Il commence en citant tous ces grands hommes qui se sont servis de leurs échecs pour progresser. Gainsbourg, frustré de ne pouvoir devenir un grand peintre qui se tourne vers la musique. De Gaule, qui se sert de trente ans de déconvenues pour forger son caractère et devenir l’homme providentiel qui sauvera la France. La France justement sur laquelle Pépin s’attarde. Notre doux pays où le succès se résume à l’application des consignes. Où un diplôme prestigieux nous met à l’abri pour le reste de notre vie professionnelle en nous donnant une identité et une valeur. Celui qui sort de l’X et qui depuis deux décennies s’applique à construire une carrière toute tracée véhicule davantage l’idée de réussite que celui qui, parti de rien, a « monté » plusieurs entreprises, se servant de ses échecs pour rediriger le curseur. Le philosophe donne l’exemple du CAPES et de l’agrégation. Dans le premier cas, l’enseignant sera moins payé pour plus d’heures travaillées. Dans le deuxième, l’enseignant est assuré d’un bon salaire à vie, indépendamment de son implication ou de ses résultats. Son diplôme est la seule valeur à l’aune de laquelle son succès sera jugé. D’ailleurs, cette importance de rentrer dans les rangs, les adolescents la connaissent déjà. À 16 ans, on leur demande déjà de choisir une filière qui dessinera les contours de leur avenir professionnel, même si bien souvent, ils n’ont aucune idée de ce qu’ils désirent vraiment. En somme, il faut choisir vite, choisir bien et rester dans le droit chemin. Cette philosophie de notre « fast track » national est concurrencée par le « fast fail » américain. Née au cœur de la Silicon Valley, cette façon de travailler encourage la prise d’initiative. L’idée est de lancer de nouveaux projets en essayant de ne pas trop se poser de questions. On teste, on innove, on laisse s’exprimer sa part d’audace. Et tout cela le plus rapidement possible. Puis on analyse les succès à réitérer, les demi-succès qui pourront être améliorés et les échecs qui devront être écartés. On repère un potentiel, on le creuse. Les start-ups privilégient ces micro-projets pour déterminer ce vers quoi se tourner et identifier les axes d’amélioration. Parce que l’échec n’a d’intérêt que s’il suscite une introspection, que s’il donne une leçon. Le système anglo-saxon a compris l’importance de distinguer l’échec de son initiative de l’échec de sa personne. Et d’éviter de tomber dans le déni de « c’est la faute des autres ». Certains échecs peuvent être qualifiés d’actes manqués au sens de la psychanalyse freudienne : des actes à la fois ratés et réussis. Si le lapsus est un acte manqué langagier, l’échec selon Freud peut être une manifestation de notre inconscient qui cherche à nous éloigner de ce que l’on ne désire pas. Face à l’échec, nous avons deux attitudes possibles. Ça ne marche pas, je n’y arrive pas mais je crois en ma chance, je crois en mon étoile. Ça me prendra le temps qu’il faut mais j’y arriverai. Et puis il y a celle qui laisse parler cette petite voix au fond de soi, celle qui laisse sous-entendre que finalement on se serait peut-être trompé de voie. Et le recrutement dans tout ça ? Lorsque nous cherchons le candidat qui satisferait les besoins de notre client, nous avons tendance à préférer les C.V « fast track ». Quelqu’un de spécialisé dans son domaine, si possible depuis qu’il est en âge de travailler, diplôme(s) à l’appui. Il y a un côté rassurant pour le client, il y a un côté valorisant pour le recruteur. J’ai réussi à trouver LE candidat qui correspond en tous points à vos attentes! Il est intéressant pourtant d’arriver à dépasser cette lecture linéaire du parcours professionnel des personnes qui viennent nous rencontrer. Et de déceler derrière les failles d’un parcours un excès d’audace ou une envie de sortir de sa zone de confort. De comprendre comment une personne se nourrit de ses échecs et quelles leçons elle en tire. Après tout, comme disait Mille Davis, « quand vous jouez une note, seule la suivante vous permettra de dire si elle était juste ou fausse. »